lundi 11 janvier 2021

Un nécessaire de fumeur

fumeur art deco MAAAD


Achat

Séduit par un objet dans une boutique toulousaine proposant une "sélection d'objets": un nécessaire de fumeur compoosé d'un plateau avec trois boîtes assorties. Difficile à dater car la ligne est très sobre et intemporelle, entre 1930 et 1950, et plus probablement vers 1930.  Les partie sombres sont en placage de palissandre ou de Macassar, les partie claires doivent être en placage d'érable ou d'une essence similaire. 

C'est un objet ayant vécu, avec les usures du temps visibles.   L'achat se faisant sur place, il est possible de se rendre compte plus précisément. Sur toutes les surfaces, le vernis a mal vieilli. Il est craquelé, tuilé, grisé, partiellement opacifié, et présente de nombreux manques aux endroits où les doigts ont porté de façon répétée pour l'usage. La structure des boîtes elles-mêmes est bonne, mais c'est le plateau qui a le plus souffert : le placage du dessus présente une grosse cloque d'environ 6 cm de diamètre; et sur le dessous, le contreplaqué a dû connaître l'eau si bien que les couches se sont décollées et gonflées en de nombreux endroits sur de grandes étendues. Le voici au déballage dans l'état initial :

fumeur art deco MAAAD


Le vernis étant craquelé, les fentes retiennent la poussière, se salissent et deviennent blanchâtres à la longue; c'est bien visible sur les poignées du plateau. Pour le Macassar la teinte générale est très altérée : il y a des parties grisées (vernis), des parties blanchâtres (fentes), et les parties presque noires restent très sombres, si bien que finalement, il y a un contraste artificiellement grand, ce qui est visible sur l'image. Pour les caisses des boîtes, le fait que toutes les arêtes soient dévernies rend l'aspect peu attrayant, au moins vu de près.

Tout ceci mis bout à bout, et curieux du challenge que cela représente, je décide d'opter pour une restauration de l'objet : réparation des cloques et décollements, puis reprise complète des vernis; les chromes sont en parfait état, il n'y a rien a refaire.

*
*   *

Le dessous du plateau présente de multiples décollements des couches du contreplaqué. Chaque fente sombre correspond à un décollement qu'il faudra réparer.


Le profil inférieur du plateau est assez gondolé (posé, il est bancale). 


Reprise des cloques à la colle vinylique injectée en sous-cutanée. Une fois que les plus grosses cloques sont recollées, il faut regarder qu'il n'en reste pas de plus petites, en baladant le dos de l'ongle sur le bois et en écoutanrt s'il n'y a pas des endroits où le bois sonne plus creux. Il faut repérer ces endroits et recoller ces petites cloques résiduelles, moins visibles.


A chaque recollage, il faut presser très fort, mais surtout pas directement avec du bois, qui resterait collé à cause de la colle qui ressort des cavités encollées à la seringue. D'où la grille métallique à gauche, qui doit être intercalée entre le plateau et les cales de pressage. Il est important d'encoller les cloques le plus possible sur toute leur surface. Les 40 mm de l'aiguille suffisent à peine ici. 


Il ne faut pas avoir peur de décoller un peu plus avec le tournevis, car si cela vient c'est que cela ne tenait plus bien. Le recollage de la cloque sur le placage de la face supérieure du plateau se fait de la même façon. La cloque n'étant pas fendue mais seulement gonflée, il faut percer le bois du placage. Il faut donc prendre l'aiguille la plus fine possible (0.8 mm de diamètre), afin que les trous d'injection ne se voient pas. Avec la colle vinylique (qui rappelons-le n'est pas réversible et ne doit donc pas être utilisée pour des objets de valeur), il est important également de ne pas laisser sécher trop longtemps avant de retirer les presses, sinon les excédents de colle seront très difficiles à éliminer à l'éponge.

L'aspect tuilé du vernis apparaît clairement en lumière réfléchie :


Le grisage, l'opacification et les manques, en lumière du jour rasante :


Pour le dévernissage, l'alcool se révèle sans effet, tandis que le diluant cellulosique attaque peu à peu en laissant un dépôt blanc : c'est donc du cellulosique. Mais le retrait du vernis est difficile, il ne part que par petites quantités et le vernis dissous a tendance à entrer dans les pores en les remplissant de dépôt blanc. Il faut alterner ponçages et passage du diluant un grand nombre de fois en frottant fort dans le sens des pores et en changeant constamment le morceau d'essuie-tout. C'est assez laborieux et inquiétant car on se demande si on parviendra à tout enlever. Evidemment pour les ponçages de cette étape, il faut poncer très légèrement à la cale et avec du papier suffisamment fin (320 par exemple) pour ne pas manger tout le bois. Seule consolation par rapport à d'autres traitements de surface, le papier de verre ne s'encrasse pas beaucoup. Tant que les pores ne sont pas exemptes de traces blanches, il faut persévérer, sinon ces traces vont venir tout gâcher visuellement lors du re-vernissage. Au bout d'une suite d'alternances ponçage/nettoyage qui paraît interminable, la poudre de ponçage ne contient plus du tout de jaune et prend une belle couleur uniforme  de cacao foncé. Ouf ! Une boîte (à peu près) dévernie et une autre dans l'état initial :


Ne connaissant pas l'effet final du vernis gomme laque sur le bois clair,  et craignant que le résultat ne soit trop clair, je décide de re-vernir les boîtes au cellulosique, à l'identique. Faire du vernis cellulosique au pinceau fut une expérience douloureuse qui n'est à conseiller à personne. J'ai été obligé de travailler très vite (ce vernis ne tolère pratiquement pas un deuxième coup de pinceau, qui rend la surface toute rêche, malgré des pinceaux d'excellente qualité, au poil très fin et très dur), de re-poncer à mainte reprise, et de finir par un produit spécial pour éclaircissage de vernis cellulosiques, qui était soit trop efficace (vernis frais, il retire et "brûle" tout) soit pas assez (vernis sec, il n'a pas d'action clairement visible). Je ne recommencerai pas l'expérience. 

Pour les parties en Macassar, pas de problème, après un léger ponçage avec une montée en grain jusqu'à 1200, le tampon du vernis gomme laque glisse sur le bois dur comme sur un nuage immatériel. C'est un délice. Les pièces étant petites, il est préférable d'utiliser un  tampon de petite dimension (environ de la taille d'une noix ou d'une balle de ping-pong). Le résultat final est d'une teinte beaucoup plus homogène, et d'une texture plus lisse, plus soyeuse :



fumeur art deco MAAAD

fumeur art deco MAAAD




Vieillissement des vernis

L'usage ou simplement le temps qui passe peuvent altérer les vernis. Les deux vernis anciens sont le vernis gomme laque (utilisé depuis des siècles) et le vernis cellulosique (utilisé à partir de la fin de la Première Guerre mondiale).

Le vernis gomme laque résiste bien au temps mais son ennemi numéro un est l'alcool, puisque c'est précisément son solvant. La surface mise en contact avec un alcool (fort ou moins fort) est "brûlée" dans le jargon des vernisseurs. C'est donc un vernis assez fragile chimiquement, mais si la forme de la surface à vernir est simple, sans arêtes ou ressauts,  reprendre un vernis gomme laque n'est finalement pas très rébarbatif.

Pour le vernis cellulosique, il semble que le temps lui-même le dégrade, ainsi que les ultra-violets. Le vernis en se desséchant devient dur, rigide, puis cassant ; il se craquèle et se fendille. Ensuite, quand le vernis est fendillé, l'humidité de l'air s'introduit dans le bois de placage à l'emplacement des fentes,  créant ainsi des différences d'humidité dans le placage. Ces différences finissent par faire gonfler le bois du placage là où il y a des fentes, et redressent leurs arêtes. Sur le schéma ci-dessous, en haut vernis en bon état, au milieu vernis fendillé, et en bas vernis fendillé et tuilage du bois :


Partie inférieure épaisse : le bois de placage (environ 0.5 mm)
Partie supérieure mince : le vernis, en bon état (haut), craquelé (milieu) et tuilé (bas).


Lorsque la surface est dans cet état-là, ce qui fait l'attrait d'une finition vernie est largement perdu. L'aspect devient moins beau, la surface attrape la poussière, et la lumière ne joue plus aussi agréablement sur la surface unie. La teinte perd beaucoup de son uniformité. Au toucher, la surface qui était soyeuse ou lisse devient rêche et rugueuse.

Il est également notoire qu'avec le temps, le vernis cellulosique devient grisâtre ou verdâtre, et surtout il perd peu à peu sa transparence. Cela dégrade l'aspect visuel. Les subtils effets de moirure sont perdus, et la teinte générale devient triste.

Le problème à mon sens, c'est qu'il est assez pénible de reprendre un vernis cellulosique, que ce soit pour le refaire ou pour aller vers un vernis gomme laque. Le dévernissage complet jusqu'au fond des pores est un problème avec le vernis cellulosique. Et un dévernissage qui n'est pas complet risque de compromettre grandement la qualité visuelle de revernissage, surtout pour les bois sombres.

Coromandel ou Macassar ?

A propos du titre de ce blog, il faut d'abord préciser que la distinction entre le Coromandel, l'ébène de Macassar et même certains palissandres sombres bien contrastés n'est pas toujours aisée, surtout pour des pièces de petite dimension. Je dois avouer mon incapacité en ce domaine, mais ce qui est important à mes yeux en fin de compte, c'est la beauté du bois, plus que son nom.

Sur ce nécessaire de bureau, le bandeau, les cotés du pot et le socle semblent être en ébène de Macassar même si je n'en mettrais pas ma main au feu; ce pourrait fort bien être dans un palissandre de Rio très sombre et très veiné, car généralement le veinage du Macassar est plus large que cela.



Les poignées et le socle de cette coupe sont davantage typiques de l'ébène de Macassar, dont les motifs forment souvent de grands à-plats juxtaposés. La nuance générale du Macassar peut varier énormément en fonction de la proportion de teintes claires (plutôt caramel) et sombres (brun-noirâtre)


Quant à la distinction entre Coromandel et Macassar, elle est très difficile à établir pour un oeil non averti, et je m'en garderai bien; de mémoire c'est surtout la taille des pores qui diffère.

Enfin, il faut savoir qu'il y a une multitude d'essences dans chaque genre, ces essences portant un nom voisin n'appartenant d'ailleurs pas toujours au même genre botanique. Pour citer quelques exemples d'essence, Ebène de Macassar, d'Amara, noir..., Palissandre de Rio, de Santos, de Cuba... Acajou blond, de Cuba. 

Bref, il y a largement de quoi se perdre et à mon sens en définitive, il est préférable d'oublier la terminologie pour mieux s'extasier sur la beauté de la matière elle-même.

Bienvenue

 Confinements répétés obligent, il faut communiquer par électrons interposés maintenant.

Ce blog présentera sous forme de récits quelques travaux manuels, principalement de la restauration de meubles et d'objets, et ce, principalement pour l'époque Arts Déco, comme l'intitulé du blog le suggère subtilement. Il s'agit d'un point de vue d'amateur, non de professionnel.

Il y aura aussi quelques réflexions sur les choix de restauration qui sont faits ici ou là; et puis à l'occasion d'autres choses qui n'ont rien à voir avec tout cela.

Bienvenue à toutes et à tous !