mardi 24 janvier 2023

Bouche-pore traditionnel : ce que j'en comprends

 Tout d'abord, il faut bien distinguer les pores des crevasses. Sur les bois durs mais fibreux comme l'ébène, les crevasses sont dues à des arrachements localisés de fibres du bois, soit au sciage ou déroulage, soit lorsque on retire un morceau de ruban adhésif que l'on a dû placer pour une raison quelconque et que quelques fibres y restent attachées.  

Choix du ruban adhésif et techniques d'arrachage

Le choix du ruban adhésif pour le placage est crucial : s'il est trop puissant, les risques de défibrement à l'arrachage sont élevés. Il convient donc d'utiliser un ruban adhésif de force d'adhérence moyenne ou basse. D'autre part, le type de ruban est important aussi, il ne faut surtout pas utiliser de ruban brun fin brillant (type "déménagement"), car souvent à l'arrachage, l'adhésif lui-même se détache du ruban de plastique et reste sur le bois (surtout si on a laissé en place le ruban plus de 24 h). Ce résidu de colle est souvent rebelle et ne s'élimine qu'à l'acétone assez laborieusement.


Il faut donc utiliser du ruban épais dont le support est en papier et de faible adhérence. On trouve du ruban de peintre "bleu" en grande surface bricolage qui convient bien. Un autre type de ruban de peintre, mauve qualifié de "sans dommage" convient aussi. Certains rubans de peintre traditionnels (jaune/beige) de faible adhérence pourraient peut-être convenir, je n'ai pas testé, mais il ne faut pas qu'il soit crêpé car cela compromettrait la précision du maintien des pièces de placages à coller par rapport au support. Enfin, le procédé traditionnel pour maintenir le placage lors du collage, vendu en magasin spécialisé d'ébénisterie, est d'utiliser des rubans spéciaux en papier gommé, mais là aussi, je n'ai pas testé. Pour ces derniers, l'arrachage se fait alors à l'aide d'eau et par simple grattage, je crois, le papier lui-même n'étant pas assez résistant pour être arraché d'un seul morceau une fois collé.

Néanmoins, même en utilisant un ruban du commerce faiblement adhésif, le risque de défibrement subsiste. La façon de procéder pour l'arrachage est là-aussi importante. Pour minimiser l'effort de traction, la meilleure technique d'arrachage est, me semble-t-il, la suivante:

1) Il faut retirer le ruban en le plaquant et non en l'arrachant perpendiculairement:


En effet, l'effort d'arrachement est bien moindre en procédant ainsi. Il faut aussi procéder lentement, car à cause des propriétés mécaniques de l'adhérence, l'effort d'arrachement est proportionnel à la vitesse de traction.  Enfin, mais je n'ai pas de preuve tangible, la température joue peut-être un rôle, car les adhésifs tendent à se ramollir avec la chaleur, les rendant donc moins... adhésifs.


2)  Ensuite, il faut veiller à ne pas tirer le ruban de telle sorte que la ligne de décollement soit parallèle aux fibres du bois, mais au contraire le plus perpendiculaire possible:


Importance du sens de décollage

En effet, si la ligne de décollement est parallèle aux fibres, alors, la traction d'arrachage s'exerce sur une seule fibre à la fois, sur toute la longueur de cette ligne, tandis que dans le cas inverse, la traction est répartie sur beaucoup de fibres et chacune n'est sujette à la traction que sur une portion infinitésimale de sa longueur. Certains bois très fibreux sont particulièrement sujets à l'arrachage de fibres lors de ces opérations de retrait de ruban adhésif lorsqu'ils sont encore brut de sciage  ou de ponçage (notamment les ébènes et palissandres...).


Pores vs. crevasses

 Les crevasses sont des accidents superficiels qui je pense surviennent au sciage, ou alors sont naturels dans le bois. Ces crevasses se montrent sous la forme de zones en creux parallèles au fil, sur une longueur d'environ 1 cm et 0.5 ou 1 mm de largeur. Pour ce qui est de la profondeur, c'est plutôt de l'ordre de 0.1 ou 0.2 mm, mais certaines crevasses plus profondes peuvent atteindre toute l'épaisseur de la feuille de placage (0.6 mm) et créer ainsi une lacune au travers de laquelle on voit le jour (cette portion de feuille est alors non facturée, normalement).

Le bouche-porage élimine ou atténue les irrégularités de surface que constituent les pores, mais reste sans effet sur les crevasses, d'étendue et de profondeur trop importantes. Pour les zones crevassées, le mieux est d'utiliser une pâte à bois, préalablement teintée au plus proche puis poncée. Ce n'est qu'une fois cette opération terminée qu'on peut passer au bouche-porage proprement dit. En d'autres termes, avant le bouche-porage, il faut traiter les petits accidents et les crevasses avec une pâte à bois ou un mastic.

La ponce soie

Citons une phrase trouvée sur internet:

Ponce soie : variété de poudre de ponce à granulométrie très faible (fine) permettant le polissage ou est aussi utilisé pour le remplissage des pores lors de l'application d'un vernis au tampon. Le terme "soie" vient du fait que la ponce pulvérisée passe par un tamis de soie (ou équivalent en taille).


Geste technique

Pour bouche-porer, il faut mettre très peu de ponce soie sur le support, en tapotant légèrement une petite poche de tissu qui en contient. Il ne doit pas y avoir de monticules de poudre, mais seulement un petit nuage poudreux ténu à la surface, en quelques endroits.

Matériel bouche-pore: petit sac de ponce soie, alcool à 95°, et 
un morceau de tissu de lin avec un peu de mèche coton à l'intérieur.
Les dépôts de poudre doivent être très légers, sans excès.
Une ponçure brunâtre se forme du fait de l'abrasion, et tombe (premier plan).

Il faut faire un tampon comme celui utilisé pour vernir, mais avec un tissu grossier et très solide, raison pour laquelle le lin -très résistant- est préférable ici. Du coutil de coton grossier (ex: blue-jean) conviendrait peut-être également. Il va falloir humecter le tampon avec de l'alcool, comme on le fait pour du vernis, puis venir frotter par des mouvement circulaires la surface du support préalablement poudrée en appuyant très fort. Le but de l'opération est double (de mon point de vue) : primo, par l'effet abrasif de la poudre de ponce soie, il va se produire une poudre de ponçure du bois,  et par l'effet liant de l'alcool, cette ponçure va former une sorte de mastic-couleur-bois qui du fait de la forte pression exercée sur le tampon, va être plus ou moins forcée de s'insinuer dans chaque pore; secundo, la poudre de ponce soie est un abrasif extrêmement fin (peut-être 2000 ou 4000, on pourrait même parler de polish plutôt que d'abrasif), et le fait de poncer avec le tampon en tissu imprégné de cet abrasif, va lustrer la surface du bois, de telle sorte que l'aspect de surface après le bouche-porage ressemble déjà à celui d'un vernis, avec un poli brillant et lisse.

En ce qui concerne la quantité de ponce soie à saupoudrer, il faut comprendre que le but de l'opération n'est pas de fabriquer une purée que l'on étale sur le support, mais plutôt de transformer le tampon en une sorte de toile émeri juste suffisamment abrasive pour jouer son rôle. Il faut donc mettre le minimum de poudre possible, quitte à en rajouter un peu si l'on sent que le tampon n'est pas vraiment abrasif (bruit pas assez "rêche"). Si on prolonge l'opération, on peut en rajouter en cours de route. Le plus souvent, je ne fais que deux saupoudrages, l'un après l'autre dans la foulée. Certains vernisseurs préconisent un certain délai (1 à 15 jours) entre deux séances de bouche-porage, afin de laisser solidifier ce qui a réussi à rentrer dans les pores à la première séance. Ceci est peut-être valable pour un résultat absolument parfait, mais tout faire le même jour donne déjà un résultat satisfaisant à mes yeux, disons un semi-bouche-porage.  

Il faut donc faire plutôt des cercles en appuyant très fortement le tampon, et en le ré-humectant d'alcool de temps en temps, lorsqu'il devient trop sec.  Globalement, c'est une opération assez fatigante. 
Le tampon s'use assez vite et il faut le changer dès qu'il se retrouve troué. Utiliser un tampon de dimensions un peu larges permet de trouver une autre zone du tissu qui est en en bon état en déplaçant simplement les mèches de coton, sans avoir à changer complètement le tampon dès qu'il est usé à un endroit.

Lorsqu'on considère que les pores sont suffisamment bouchées, il faut éliminer le film  un peu rugueux et rêche qui a pu se former à la surface en certains endroits. Pour cela il faut ne plus ajouter de ponce, et humecter le tampon plus souvent, et aussi appuyer de moins en moins. A la fin, on a un tampon assez humide, et on n'appuie presque plus. La saleté du support se transfère sur le tampon ou tombe sur les côtés.  A la fin de cette opération, on peut utiliser un tampon propre pour faciliter  cette étape de nettoyage.   Il peut être utile de vérifier le résultat à contre-jour en lumière rasante, afin de contrôler qu'il n'y a plus de résidus de ponce agglutinée à la surface. Une fois la surface bien bouche-porée et débarrassée de tous ces résidus de "pâte abrasive", la surface apparaît lustrée, lisse et brillante, un peu comme un vernis.

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