mardi 17 janvier 2023

Une petite tirelire Napoléon III

Quittons un peu l'époque Art Déco, avec une petite tirelire Napoléon III en placage de loupe de noyer ou d'orme et bois de rose;  le couvercle est décoré avec des filets en laiton et ébène, et avec une inclusion de laiton en son centre. Passablement abîmée, avec des dégâts de surface mais aussi structurels, elle me faisait pitié dans une brocante à Foix. Les côtés sont presque tous décollés, les petites pièces d'angle aussi, et il y a des petits manques de placage. Les parties laitonnées sont en bon état, et détail méritant d'être signalé, la clé était présente. Le démontage de la serrure permet de mettre en évidence une inscription "Breveté SGDG  *  M.L". Du coup, j'ai aussitôt pensé qu'il s'agissait d'une tirelire début ou milieu XXe, mais en fait non, la réglementation du Brevet SGDG (sans garantie du gouvernement) date en fait de 1844, c'est à dire tout à fait compatible avec un objet d'époque Napoléon III.

Façade de la petite serrure



Etat des lieux après un premier nettoyage:

1, 3, 4 : petites pièces d'angle décollées.
2 : pièce manquante laissant voir un des côtés décollés (fente).
                                         

1 : la petite pièce a été recollée à l'envers ! (chanfrein à dr.) 
2 : petite pièce et côté décollé. 
3 : manque de placage loupe de noyer ou orme

Les bronzes sont en bon état.



Il faut d'abord recoller les côtés. L'assemblage n'est pas réalisé par des tenons, mais par simple collage bord à bord, ce qui explique peut-être les nombreux décollements. Certaines petites pièces d'angle arrondies sont aussi décollées ou peu adhérentes. En définitive, je crois les avoir toutes recollées ou presque : à chaque fois que je travaillais dans une zone, la pièce d'angle sonnait creux, et finalement se décollait sans aucun effort. Pour les recoller, le plus simple est de fabriquer une équerre et une contre-équerre, sinon le serrage est problématique (les côtés correspondants doivent avoir été solidement recollés au préalable, étant donné la contrainte en éclatement créée par ce serrage, malgré la présence de la contre-équerre à l'extérieur).


vaste question ...




Ensuite, il faut refaire une nouvelle pièce d'angle pour la petite partie manquante. Il est important de noter que ces pièces ont réalisées dans le travers du bois, c'est à dire que le fil du bois est perpendiculaire à la longueur, ce qui rend les pièces fragiles car elle sont très fines (1.6 ou 1.7 mm d'épaisseur). Il faut donc utiliser un bois très dense, sous peine sinon de ne jamais parvenir à réaliser le petit profil de ces baguettes. 



N'ayant aucune idée de l'essence utilisée originellement, je choisis un morceau pris sur un arbuste de mon jardin, dont je n'ai jamais réussi à déterminer l'espèce, mais qui est très dur, presque autant que le buis, avec de jolies moirures une fois verni, et dont la teinte dans le coeur est proche de celle des baguettes originelles.

!! Edit : il s'agit de bois d'Alaterne ! (a.k.a nerprun alaterne)


Arbuste du jardin, dont j'ignore le nom, avec un bois très dense; 
à g. échantillon poncé, à dr. brut de fendage.
  

La réalisation de cette baguette est un défi  : 10 mm de large, 1.6 ou 1.7 mm d'épaisseur, profil en quart de rond chanfreiné à l'arrière, avec les arêtes à 45°, le tout dans le bois de travers ! Il y a intérêt à procéder très soigneusement si l'on veut que le résultat soit satisfaisant. Après réflexion, la meilleure méthode, me semble-t-il, est la suivante : d'abord dégrossir au mieux mais un peu largement (profil rectangulaire 12 mm x 2 mm) puis réaliser trois petits tronçons de 20 mm. Ces trois tronçons seront collés fortement et bien alignés, sur un tasseau de sapin d'une longueur d'environ 15 cm, à une certaine distance les uns des autres.  C'est le petit tronçon du centre, le plus précis, qui sera utilisé à la fin. Une fois ceci réalisé, continuer l'approche du profil à la lime à métaux en procédant délicatement, jusqu'à obtenir un profil rectangulaire ou légèrement arrondi, pratiquement à la bonne côte (10.5 mm x 1.8 mm). A ce stade de précision, les mesures doivent se faire au pied à coulisse. Le profil final est ensuite obtenu par ponçage, l'intérêt d'avoir trois petits tronçons espacés est que la matière à retirer par ponçage est minime, mais que la précision du ponçage est tout de même grande car la pièce à poncer repose sur une base de longueur  importante (15 cm). Il est crucial que la feuille de ponçage (ici grain 180) soit collée sur une planche, car si elle est laissée libre, l'effort du ponçage produit toujours un bourrelet (imperceptible) du papier de verre devant le bord d'attaque de la pièce poncée, et produit un profil peu précis, au niveau de ces bords d'attaque.

Imprécision du résultat au niveau des bords d'attaque si le papier de verre n'est pas collé



Pour assurer que les arêtes latérales soient bien à 45 °, le plus simple est de réaliser un guide à cet angle. Ensuite, il n'y a plus qu'à amener le profil en douceur  jusqu'aux dimensions finales en ponçant longitudinalement sans oublier de changer le tasseau de sens périodiquement afin de compenser les différences d'appui naturelles de la main.

Papier de verre collé, et équerre de guidage pour les arêtes.

Le profil terminé, il ne reste plus qu'à décoller les morceaux.

!! THE PIECE !!



Après recollage de la pièce manquante, et remplissage des petits accidents avec de la pâte à bois, l'ensemble peut être poncé une dernière fois avant l'application du vernis gomme laque au tampon. 
Une fois de plus, il apparaît clair qu'un bouche-porage ancien bien réalisé n'est jamais retiré par le dévernissage et par le reponçage léger. Pour ces restaurations, il suffit donc d'appliquer le vernis,  sans avoir à reprendre le bouche-porage. 

Concernant le rebouchage des petits accidents avec de la pâte à bois, plusieurs remarques : primo, lla teinte de la pâte après ponçage est souvent très décevante (beaucoup trop blanche en général). Le teintage de la pâte dans la masse est souvent peu convaincant (pour une pâte à l'alcool ou à l'acétone, utiliser une teinte à l'alcool, pour une pâte à l'eau, une teinte à l'eau), et ne résout pas vraiment le problème, et ajoute le problème supplémentaire d'une pâte qui devient trop diluée, trop fluide et donc sujette à encore davantage de retrait au séchage. Il faut donc se résoudre à des retouches successives de couleur sur la zone réparée. Le mot "successif" est utilisé à dessein, car la teinte de la pâte poncée étant très éloignée de la teinte cible, il faudra en général plusieurs couches de retouche pour parvenir à un résultat satisfaisant.

Pour ces petits objets, il convient d'utiliser un tampon de petite dimension (taille d'une noisette), et de vernir plusieurs objets à la fois (dans le cas présent, une boîte à cigares mid-century). En effet il est essentiel que le vernis puisse "prendre" légèrement durant une ou deux minutes entre deux passages successifs du tampon. Il faut absolument éviter d'être trop "gourmand" et vouloir repasser deux fois de suite sur une zone donnée dans un intervalle trop rapproché : c'est la garantie de l'échec, c'est à dire d'un vernis qui accroche et devient rugueux, de façon difficilement récupérable et psychologiquement éprouvante car normalement chaque séance de vernissage doit toujours nous faire approcher du brillant final, et non régresser vers le mat initial de la première tamponnée de charge. Une séance de vernissage pour de tels petits objets est donc très courte, une dizaine ou une vingtaine de minutes tout au plus, pour deux objets, avec un repos de 24 h ou mieux 48 h entre deux séances. Pour les deux objets, on veille à vernir en respectant un cycle immuable dans l'ordre des faces (ex les côtés de l'objet A en partant de la façade, les côtés de B idem, le dessus de A, le dessus de B, etc.), ceci afin de maximiser le temps de séchage entre deux passages du tampon sur une même zone.  Si, par fantaisie, on ne souhaite pas respecter ce cycle, on peut aussi patienter un peu entre deux tamponnées, mais alors le tampon inactif sèche à l'air libre, ce qui n'est pas très bon (et cela fait perdre du temps). Le mieux est donc d'essayer de se tenir à cette "discipline", tout de même pas très contraignante. 

C'est toujours le vernis nous indique qu'il est temps d'arrêter la séance : chaque nouvelle charge devient laborieuse, le tampon se met à glisser de moins en moins bien à chaque nouvelle tamponnée (à chaque nouvelle recharge du tampon en gomme laque). Quand on arrive vers la fin de la séance, c'est alors qu'il convient d'être le plus intransigeant sur l'épuisement du tampon: il faut absolument continuer à glisser le tampon qui devient presque sec mais pas tout à fait (on peut le remplir très légèrement d'alcool pur s'il devient trop sec, afin qu'il se remette à "travailler" davantage,  mais alors les premières trajectoires doivent être très rapides pour éviter tout risque de "labour").  Répétons-le, c'est le glissement inlassable du tampon de plus en plus sec qui provoque le "lustrage" qui va faire que cette séance nous approche un peu plus du brillant final par rapport à la séance précédente.  Au passage, on note que plus le tampon sèche, plus on peut se permettre d'appuyer (légèrement) plus fort, et plus le mouvement doit devenir lent. L'objectif est de garder une glisse "lisse" et "silencieuse". Un tampon qui lustre correctement glisse avec certes une résistance, un freinage, mais sans rugosité, et cela s'entend à la qualité du "silence" de la glisse.



La restauration de ce petit objet m'a permis de me familiariser avec les techniques de base (colle d'os, découpes fines), formation utile pour un projet plus important qui me tient à coeur depuis un certain temps, et que je ne voudrais pas louper: la restauration complète d'un grand miroir Art Déco avec un bas-relief en plâtre au-dessus (plutôt un trumeau donc)


Etat final

Face avant




Côté et arrière



Intérieur

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