Quittons un peu l'époque Art Déco, avec une petite tirelire Napoléon III en
placage de loupe de noyer ou d'orme et bois de rose; le couvercle est
décoré avec des filets en laiton et ébène, et avec une inclusion de laiton en
son centre. Passablement abîmée, avec des dégâts de surface mais aussi
structurels, elle me faisait pitié dans une brocante à Foix. Les côtés sont
presque tous décollés, les petites pièces d'angle aussi, et il y a des petits
manques de placage. Les parties laitonnées sont en bon état, et détail
méritant d'être signalé, la clé était présente. Le démontage de la serrure
permet de mettre en évidence une inscription "Breveté SGDG * M.L".
Du coup, j'ai aussitôt pensé qu'il s'agissait d'une tirelire début ou milieu
XXe, mais en fait non, la réglementation du Brevet SGDG (sans garantie du
gouvernement) date en fait de 1844, c'est à dire tout à fait compatible avec
un objet d'époque Napoléon III.
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Façade de la petite serrure
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Etat des lieux après un premier nettoyage:
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1, 3, 4 : petites pièces d'angle décollées. 2 : pièce manquante
laissant voir un des côtés décollés (fente).
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1 : la petite pièce a été recollée à l'envers ! (chanfrein à
dr.) 2 : petite pièce et côté décollé. 3 : manque
de placage loupe de noyer ou orme
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Les bronzes sont en bon état.
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Il faut d'abord recoller les côtés. L'assemblage n'est pas réalisé par des
tenons, mais par simple collage bord à bord, ce qui explique peut-être les
nombreux décollements. Certaines petites pièces d'angle arrondies sont aussi
décollées ou peu adhérentes. En définitive, je crois les avoir toutes
recollées ou presque : à chaque fois que je travaillais dans une zone, la
pièce d'angle sonnait creux, et finalement se décollait sans aucun effort.
Pour les recoller, le plus simple est de fabriquer une équerre et une
contre-équerre, sinon le serrage est problématique (les côtés correspondants
doivent avoir été solidement recollés au préalable, étant donné la contrainte
en éclatement créée par ce serrage, malgré la présence de la contre-équerre à
l'extérieur).
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vaste question ... |
Ensuite, il faut refaire une nouvelle pièce d'angle pour la petite partie
manquante. Il est important de noter que ces pièces ont réalisées dans le
travers du bois, c'est à dire que le fil du bois est perpendiculaire à la
longueur, ce qui rend les pièces fragiles car elle sont très fines (1.6 ou
1.7 mm d'épaisseur). Il faut donc utiliser un bois très dense, sous peine
sinon de ne jamais parvenir à réaliser le petit profil de ces
baguettes.
N'ayant aucune idée de l'essence utilisée originellement, je choisis un
morceau pris sur un arbuste de mon jardin, dont je n'ai jamais réussi à
déterminer l'espèce, mais qui est très dur, presque autant que le buis, avec
de jolies moirures une fois verni, et dont la teinte dans le coeur est
proche de celle des baguettes originelles.
!! Edit : il s'agit de bois d'Alaterne ! (a.k.a nerprun alaterne)
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Arbuste du jardin, dont j'ignore le nom, avec un bois très
dense; à g. échantillon poncé, à dr. brut de
fendage.
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La réalisation de cette baguette est un défi : 10 mm de large, 1.6
ou 1.7 mm d'épaisseur, profil en quart de rond chanfreiné à l'arrière,
avec les arêtes à 45°, le tout dans le bois de travers ! Il y a intérêt
à procéder très soigneusement si l'on veut que le résultat soit
satisfaisant. Après réflexion, la meilleure méthode, me semble-t-il, est
la suivante : d'abord dégrossir au mieux mais un peu largement (profil
rectangulaire 12 mm x 2 mm) puis réaliser trois petits tronçons de 20
mm. Ces trois tronçons seront collés fortement et bien alignés, sur un
tasseau de sapin d'une longueur d'environ 15 cm, à une certaine distance
les uns des autres. C'est le petit tronçon du centre, le plus
précis, qui sera utilisé à la fin. Une fois ceci réalisé, continuer
l'approche du profil à la lime à métaux en procédant délicatement,
jusqu'à obtenir un profil rectangulaire ou légèrement arrondi,
pratiquement à la bonne côte (10.5 mm x 1.8 mm). A ce stade de
précision, les mesures doivent se faire au pied à coulisse. Le profil
final est ensuite obtenu par ponçage, l'intérêt d'avoir trois petits
tronçons espacés est que la matière à retirer par ponçage est minime,
mais que la précision du ponçage est tout de même grande car la pièce à
poncer repose sur une base de longueur importante (15 cm). Il est
crucial que la feuille de ponçage (ici grain 180) soit collée sur une
planche, car si elle est laissée libre, l'effort du ponçage produit
toujours un bourrelet (imperceptible) du papier de verre devant le bord
d'attaque de la pièce poncée, et produit un profil peu précis, au niveau
de ces bords d'attaque.
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Imprécision du résultat au niveau des bords d'attaque si le papier
de verre n'est pas collé
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Pour assurer que les arêtes latérales soient bien à 45 °, le plus simple
est de réaliser un guide à cet angle. Ensuite, il n'y a plus qu'à amener
le profil en douceur jusqu'aux dimensions finales en ponçant
longitudinalement sans oublier de changer le tasseau de sens
périodiquement afin de compenser les différences d'appui naturelles de
la main.
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Papier de verre collé, et équerre de guidage pour les arêtes.
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Le profil terminé, il ne reste plus qu'à décoller les morceaux.
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!! THE PIECE !!
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Après recollage de la pièce manquante, et remplissage des petits accidents
avec de la pâte à bois, l'ensemble peut être poncé une dernière fois avant
l'application du vernis gomme laque au tampon.
Une fois de plus, il apparaît clair qu'un bouche-porage ancien bien
réalisé n'est jamais retiré par le dévernissage et par le reponçage léger.
Pour ces restaurations, il suffit donc d'appliquer le vernis, sans
avoir à reprendre le bouche-porage.
Concernant le rebouchage des petits accidents avec de la pâte à bois,
plusieurs remarques : primo, lla teinte de la pâte après ponçage est
souvent très décevante (beaucoup trop blanche en général). Le teintage de
la pâte dans la masse est souvent peu convaincant (pour une pâte à
l'alcool ou à l'acétone, utiliser une teinte à l'alcool, pour une pâte à
l'eau, une teinte à l'eau), et ne résout pas vraiment le problème, et
ajoute le problème supplémentaire d'une pâte qui devient trop diluée, trop
fluide et donc sujette à encore davantage de retrait au séchage. Il faut
donc se résoudre à des retouches successives de couleur sur la zone
réparée. Le mot "successif" est utilisé à dessein, car la teinte de la
pâte poncée étant très éloignée de la teinte cible, il faudra en général
plusieurs couches de retouche pour parvenir à un résultat satisfaisant.
Pour ces petits objets, il convient d'utiliser un tampon de petite
dimension (taille d'une noisette), et de vernir plusieurs objets à la fois
(dans le cas présent, une boîte à cigares mid-century). En effet il est
essentiel que le vernis puisse "prendre" légèrement durant une ou deux
minutes entre deux passages successifs du tampon. Il faut absolument
éviter d'être trop "gourmand" et vouloir repasser deux fois de suite sur
une zone donnée dans un intervalle trop rapproché : c'est la garantie de
l'échec, c'est à dire d'un vernis qui accroche et devient rugueux, de
façon difficilement récupérable et psychologiquement éprouvante car
normalement chaque séance de vernissage doit toujours nous faire approcher
du brillant final, et non régresser vers le mat initial de la première
tamponnée de charge. Une séance de vernissage pour de tels petits objets
est donc très courte, une dizaine ou une vingtaine de minutes tout au
plus, pour deux objets, avec un repos de 24 h ou mieux 48 h entre deux
séances. Pour les deux objets, on veille à vernir en respectant un cycle
immuable dans l'ordre des faces (ex les côtés de l'objet A en partant de
la façade, les côtés de B idem, le dessus de A, le dessus de B, etc.),
ceci afin de maximiser le temps de séchage entre deux passages du tampon
sur une même zone. Si, par fantaisie, on ne souhaite pas respecter
ce cycle, on peut aussi patienter un peu entre deux tamponnées, mais alors
le tampon inactif sèche à l'air libre, ce qui n'est pas très bon (et cela
fait perdre du temps). Le mieux est donc d'essayer de se tenir à cette
"discipline", tout de même pas très contraignante.
C'est toujours le vernis nous indique qu'il est temps d'arrêter la séance
: chaque nouvelle charge devient laborieuse, le tampon se met à glisser de
moins en moins bien à chaque nouvelle tamponnée (à chaque nouvelle
recharge du tampon en gomme laque). Quand on arrive vers la fin de la
séance, c'est alors qu'il convient d'être le plus intransigeant sur
l'épuisement du tampon: il faut absolument continuer à glisser le tampon
qui devient presque sec mais pas tout à fait (on peut le remplir très
légèrement d'alcool pur s'il devient trop sec, afin qu'il se remette à
"travailler" davantage, mais alors les premières trajectoires
doivent être très rapides pour éviter tout risque de "labour").
Répétons-le, c'est le glissement inlassable du tampon de plus en
plus sec qui provoque le "lustrage" qui va faire que cette séance nous
approche un peu plus du brillant final par rapport à la séance précédente.
Au passage, on note que plus le tampon sèche, plus on peut se
permettre d'appuyer (légèrement) plus fort, et plus le mouvement doit
devenir lent. L'objectif est de garder une glisse "lisse" et
"silencieuse". Un tampon qui lustre correctement glisse avec certes une
résistance, un freinage, mais sans rugosité, et cela s'entend à la qualité
du "silence" de la glisse.
La restauration de ce petit objet m'a permis de me familiariser avec les
techniques de base (colle d'os, découpes fines), formation utile pour un
projet plus important qui me tient à coeur depuis un certain temps, et
que je ne voudrais pas louper: la restauration complète d'un grand
miroir Art Déco avec un bas-relief en plâtre au-dessus (plutôt un
trumeau donc)
Etat final
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Face avant |
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Côté et arrière |
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Intérieur |
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