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mardi 24 janvier 2023

Bouche-pore traditionnel : ce que j'en comprends

 Tout d'abord, il faut bien distinguer les pores des crevasses. Sur les bois durs mais fibreux comme l'ébène, les crevasses sont dues à des arrachements localisés de fibres du bois, soit au sciage ou déroulage, soit lorsque on retire un morceau de ruban adhésif que l'on a dû placer pour une raison quelconque et que quelques fibres y restent attachées.  

Choix du ruban adhésif et techniques d'arrachage

Le choix du ruban adhésif pour le placage est crucial : s'il est trop puissant, les risques de défibrement à l'arrachage sont élevés. Il convient donc d'utiliser un ruban adhésif de force d'adhérence moyenne ou basse. D'autre part, le type de ruban est important aussi, il ne faut surtout pas utiliser de ruban brun fin brillant (type "déménagement"), car souvent à l'arrachage, l'adhésif lui-même se détache du ruban de plastique et reste sur le bois (surtout si on a laissé en place le ruban plus de 24 h). Ce résidu de colle est souvent rebelle et ne s'élimine qu'à l'acétone assez laborieusement.


Il faut donc utiliser du ruban épais dont le support est en papier et de faible adhérence. On trouve du ruban de peintre "bleu" en grande surface bricolage qui convient bien. Un autre type de ruban de peintre, mauve qualifié de "sans dommage" convient aussi. Certains rubans de peintre traditionnels (jaune/beige) de faible adhérence pourraient peut-être convenir, je n'ai pas testé, mais il ne faut pas qu'il soit crêpé car cela compromettrait la précision du maintien des pièces de placages à coller par rapport au support. Enfin, le procédé traditionnel pour maintenir le placage lors du collage, vendu en magasin spécialisé d'ébénisterie, est d'utiliser des rubans spéciaux en papier gommé, mais là aussi, je n'ai pas testé. Pour ces derniers, l'arrachage se fait alors à l'aide d'eau et par simple grattage, je crois, le papier lui-même n'étant pas assez résistant pour être arraché d'un seul morceau une fois collé.

Néanmoins, même en utilisant un ruban du commerce faiblement adhésif, le risque de défibrement subsiste. La façon de procéder pour l'arrachage est là-aussi importante. Pour minimiser l'effort de traction, la meilleure technique d'arrachage est, me semble-t-il, la suivante:

1) Il faut retirer le ruban en le plaquant et non en l'arrachant perpendiculairement:


En effet, l'effort d'arrachement est bien moindre en procédant ainsi. Il faut aussi procéder lentement, car à cause des propriétés mécaniques de l'adhérence, l'effort d'arrachement est proportionnel à la vitesse de traction.  Enfin, mais je n'ai pas de preuve tangible, la température joue peut-être un rôle, car les adhésifs tendent à se ramollir avec la chaleur, les rendant donc moins... adhésifs.


2)  Ensuite, il faut veiller à ne pas tirer le ruban de telle sorte que la ligne de décollement soit parallèle aux fibres du bois, mais au contraire le plus perpendiculaire possible:


Importance du sens de décollage

En effet, si la ligne de décollement est parallèle aux fibres, alors, la traction d'arrachage s'exerce sur une seule fibre à la fois, sur toute la longueur de cette ligne, tandis que dans le cas inverse, la traction est répartie sur beaucoup de fibres et chacune n'est sujette à la traction que sur une portion infinitésimale de sa longueur. Certains bois très fibreux sont particulièrement sujets à l'arrachage de fibres lors de ces opérations de retrait de ruban adhésif lorsqu'ils sont encore brut de sciage  ou de ponçage (notamment les ébènes et palissandres...).


Pores vs. crevasses

 Les crevasses sont des accidents superficiels qui je pense surviennent au sciage, ou alors sont naturels dans le bois. Ces crevasses se montrent sous la forme de zones en creux parallèles au fil, sur une longueur d'environ 1 cm et 0.5 ou 1 mm de largeur. Pour ce qui est de la profondeur, c'est plutôt de l'ordre de 0.1 ou 0.2 mm, mais certaines crevasses plus profondes peuvent atteindre toute l'épaisseur de la feuille de placage (0.6 mm) et créer ainsi une lacune au travers de laquelle on voit le jour (cette portion de feuille est alors non facturée, normalement).

Le bouche-porage élimine ou atténue les irrégularités de surface que constituent les pores, mais reste sans effet sur les crevasses, d'étendue et de profondeur trop importantes. Pour les zones crevassées, le mieux est d'utiliser une pâte à bois, préalablement teintée au plus proche puis poncée. Ce n'est qu'une fois cette opération terminée qu'on peut passer au bouche-porage proprement dit. En d'autres termes, avant le bouche-porage, il faut traiter les petits accidents et les crevasses avec une pâte à bois ou un mastic.

La ponce soie

Citons une phrase trouvée sur internet:

Ponce soie : variété de poudre de ponce à granulométrie très faible (fine) permettant le polissage ou est aussi utilisé pour le remplissage des pores lors de l'application d'un vernis au tampon. Le terme "soie" vient du fait que la ponce pulvérisée passe par un tamis de soie (ou équivalent en taille).


Geste technique

Pour bouche-porer, il faut mettre très peu de ponce soie sur le support, en tapotant légèrement une petite poche de tissu qui en contient. Il ne doit pas y avoir de monticules de poudre, mais seulement un petit nuage poudreux ténu à la surface, en quelques endroits.

Matériel bouche-pore: petit sac de ponce soie, alcool à 95°, et 
un morceau de tissu de lin avec un peu de mèche coton à l'intérieur.
Les dépôts de poudre doivent être très légers, sans excès.
Une ponçure brunâtre se forme du fait de l'abrasion, et tombe (premier plan).

Il faut faire un tampon comme celui utilisé pour vernir, mais avec un tissu grossier et très solide, raison pour laquelle le lin -très résistant- est préférable ici. Du coutil de coton grossier (ex: blue-jean) conviendrait peut-être également. Il va falloir humecter le tampon avec de l'alcool, comme on le fait pour du vernis, puis venir frotter par des mouvement circulaires la surface du support préalablement poudrée en appuyant très fort. Le but de l'opération est double (de mon point de vue) : primo, par l'effet abrasif de la poudre de ponce soie, il va se produire une poudre de ponçure du bois,  et par l'effet liant de l'alcool, cette ponçure va former une sorte de mastic-couleur-bois qui du fait de la forte pression exercée sur le tampon, va être plus ou moins forcée de s'insinuer dans chaque pore; secundo, la poudre de ponce soie est un abrasif extrêmement fin (peut-être 2000 ou 4000, on pourrait même parler de polish plutôt que d'abrasif), et le fait de poncer avec le tampon en tissu imprégné de cet abrasif, va lustrer la surface du bois, de telle sorte que l'aspect de surface après le bouche-porage ressemble déjà à celui d'un vernis, avec un poli brillant et lisse.

En ce qui concerne la quantité de ponce soie à saupoudrer, il faut comprendre que le but de l'opération n'est pas de fabriquer une purée que l'on étale sur le support, mais plutôt de transformer le tampon en une sorte de toile émeri juste suffisamment abrasive pour jouer son rôle. Il faut donc mettre le minimum de poudre possible, quitte à en rajouter un peu si l'on sent que le tampon n'est pas vraiment abrasif (bruit pas assez "rêche"). Si on prolonge l'opération, on peut en rajouter en cours de route. Le plus souvent, je ne fais que deux saupoudrages, l'un après l'autre dans la foulée. Certains vernisseurs préconisent un certain délai (1 à 15 jours) entre deux séances de bouche-porage, afin de laisser solidifier ce qui a réussi à rentrer dans les pores à la première séance. Ceci est peut-être valable pour un résultat absolument parfait, mais tout faire le même jour donne déjà un résultat satisfaisant à mes yeux, disons un semi-bouche-porage.  

Il faut donc faire plutôt des cercles en appuyant très fortement le tampon, et en le ré-humectant d'alcool de temps en temps, lorsqu'il devient trop sec.  Globalement, c'est une opération assez fatigante. 
Le tampon s'use assez vite et il faut le changer dès qu'il se retrouve troué. Utiliser un tampon de dimensions un peu larges permet de trouver une autre zone du tissu qui est en en bon état en déplaçant simplement les mèches de coton, sans avoir à changer complètement le tampon dès qu'il est usé à un endroit.

Lorsqu'on considère que les pores sont suffisamment bouchées, il faut éliminer le film  un peu rugueux et rêche qui a pu se former à la surface en certains endroits. Pour cela il faut ne plus ajouter de ponce, et humecter le tampon plus souvent, et aussi appuyer de moins en moins. A la fin, on a un tampon assez humide, et on n'appuie presque plus. La saleté du support se transfère sur le tampon ou tombe sur les côtés.  A la fin de cette opération, on peut utiliser un tampon propre pour faciliter  cette étape de nettoyage.   Il peut être utile de vérifier le résultat à contre-jour en lumière rasante, afin de contrôler qu'il n'y a plus de résidus de ponce agglutinée à la surface. Une fois la surface bien bouche-porée et débarrassée de tous ces résidus de "pâte abrasive", la surface apparaît lustrée, lisse et brillante, un peu comme un vernis.

vendredi 3 septembre 2021

Vernis gomme laque : ce que j'en comprends

Le vernis traditionnel au tampon, à base d'alcool et gomme laque est un peu délaissé de nos jours car il a la réputation d'être long et difficile. C'est à la fois vrai et faux. Il a aussi contre lui la réputation d'être fragile, notamment aux projections d'alcool; là par définition c'est vrai puisque l'alcool est son solvant; c'est pour cela que dans les meubles bar qui fleurissaient à l'époque Art Deco, les parties où l'on pouvait poser des verres étaient le plus souvent protégées par une vitre ou un miroir. En revanche, le vernis gomme laque a pour lui la réputation de donner un rendu incomparable, inimitable par les autres techniques. Ne pratiquant pas les autres techniques, j'ai du mal à me prononcer sur ce point, mais on entend souvent dire que son aspect incomparable est dû en fait à l'extrême finesse de la couche. Ce qui reboucle en fait sur l'inconvénient cité au début : la fragilité relative.

A moins d'avoir des objectifs de rentabilité, l'aspect "long" ne doit pas forcément rebuter, car la longueur du processus est surtout due aux périodes où ... l'on ne fait rien, ce qui n'est pas très prenant. La durée vient en grande majorité des temps de séchage entre les opérations ou entre les couches. Cet aspect long me convient très bien personnellement, j'aime bien au contraire voir le projet avancer tout doucement, sans se presser, ça a quelque chose de zen. En restauration Art Deco, le plus souvent, on est amené à décaper le vernis mais en laissant le bouche-pore en place. Il n'y a donc que l'étape vernis à refaire, et mon expérience est qu'en une dizaine jours on peut déjà faire un très bon vernis. Finalement l'aspect "temps long" est bien adapté au dilettante que je suis, qui papillonne entre maçonnerie, bricolage, jardinage et restauration Art Deco . A un moment quand ça nous prend, on se dit : "... Tiens, je ferais bien un peu de vernis, là ... ", et hop ! Si l'on excepte la préparation et le bouche-porage, l'opération de vernissage d'un objet consiste donc en plusieurs sessions espacées de un ou plusieurs jours, chaque session étant elle-même une succession de plusieurs tamponnées. Chacune de ces sessions dépose une couche de vernis extrêmement fine (probablement moins d'un centième de millimètre une fois sec), sauf la dernière session, celle de éclaircissage, où l'on ne dépose rien du tout, mais on ne fait que nettoyer et/ou polir -on dit aussi lustrer- la surface de la dernière couche.

Ensuite on entend dire qu'il faut plus d'un an d'expérience pour commencer à vraiment vernir. Je me demande si ce n'est pas un peu exagéré, car ce n'est tout de même pas si difficile que cela, si on comprend bien ce que l'on fait et pourquoi on le fait. En revanche il est tout a fait exact qu'il y a des écueils à éviter, et qu'un accident peut arriver en un dixième de seconde : le brûlage du vernis.

Enfin, et c'est le point que j'aimerais aborder dans cet article, les tutoriels sur le sujet édictent souvent une multitude de "règles", mais ne les justifient pas, si bien que ne sachant pas d'où elles sortent et comme il y en a beaucoup on ne sait pas celles qui sont vraiement importantes, et on ne peut pas les comprendre pour les assimiler intimement et se les approprier. C'est donc plutôt là-dessus que je vais m'étendre, pour une fois plus en scientifique qu'en amoureux du bois ou en esthète, et encore une fois en tant qu'amateur et non en professionnel. Enfin, dans cet article je mets aussi l'accent sur un problème rarement abordé du vernissage : les dièdres rentrants (le contraire d'une arête, quoi) car cela a constitué pour moi un problème en tant que débutant. En restauration Art Deco, lorsque le démontage complet du meuble n'est pas possible ou souhaitable, il y a des dièdres (parfois trièdres) rentrants qu'il faut bien réussir à vernir.

MATERIEL
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Le vernis

Ce qui est très plaisant avec le vernis gomme laque (disons "shellac" à l'anglaise pour abréger), c'est que c'est absolument non périssable. Combien de fois avons-nous rouvert un ancien pot "encore presque plein" de vernis payé 40 Eur, pour découvrir une galette rabougrie et desséchée, collée tout au fond. Ici le problème n'existe pas. Certains disent même que le produit se bonifie avec les années, ce sur quoi j'ai un gros doute du point de vue physico-chimique. Une fois la dissolution des copeaux de gomme laque effectuée, elle est effectuée, et il ne doit pas y avoir de différence notable entre un vernis d'une semaine et un vernis de 10 ans. En revanche, par simple prudence, il est certain qu'il vaut mieux un vernis dissous depuis trois jours qu'un vernis de 24 h, à savoir le temps minimal annoncé pour la dissolution des copeaux. Ce qui est plaisant également, c'est que tous les ingrédients séparés sont eux-mêmes basiques et impérissable (poudre de ponce, alcool, gomme laque, et morceaux de tissu en tous genres). C'est très sécurisant, on peut faire des parenthèses de trois ans et reprendre comme si on avait arrêté hier. Par précaution tout de même, sans savoir si c'est utile, je secoue bien le flacon de vernis avant de l'utiliser, surtout après une période de repos; disons que cela ne coûte rien. Enfin, pour l'alcool qui sert à dissoudre les copeaux, on entend "à 95%" par-ci et "à 99%" par-là. Les quantités utilisées sont tout de même minimes, et par sécurité je prends du 99%, je ne pense pas que cela modifie beaucoup le budget "vernis". Pour ce qui est nettoyage (voir plus loin ce qu'il faut nettoyer), on peut utiliser indifféremment du 95% ou même du simple alcool à brûler. Dernier point sur les fournitures, il faut aussi un flacon de vernis copal, afin de remplir les dièdres rentrants.

Enfin, et là j'adhère à ce qui se dit un peu partout, l'étape finale de l'éclaircissage qui traditionnellement se faisait à l'alcool pur, peut très bien être faite avec un produit moderne largement disponible et appelé "super nicko". C'est donc la seule entorse à la tradition, avec un produit que l'on n'utiliserait pas pour un meuble ancien, surtout haut de gamme, mais qui en restauration Art Deco ne me choque pas, même pour les bois les plus précieux. Il faut bien voir que ce produit ne dépose rien, c'est simplement un composé qui permet le polissage et le dégraissage de la surface, et qui est retiré à la fin de l'opération. Pour illustrer de façon parlante la différence entre alcool et polish pour l'éclaircissage des meubles anciens et Art Deco, on remarquera que tous les luthiers de guitare utilisent ce produit (Super Nicko), mais je ne pense pas qu'on restaurerait un Stradivarius avec une telle méthode...


Le tampon

On entend souvent des subtilités sur le tissu à utiliser pour les tampons, en fonction du numéro de la couche : Coton/lin , tissage grossier/ tissage fin. La seule règle No 1 absolue (et évidente) c'est que le frottement ne doit absolument pas générer de peluches, ce qui restreint effectivement la matière à lin ou coton. Le coton étant plus répandu, il fait très bien l'affaire. Quant à l'histoire de "commencer avec du grossier et finir avec du fin", c'est selon moi un faux problème ou plutôt une fausse prise de tête : sachez que vous n'aurez jamais aucun problème si vous faites toutes les couches au tissu fin. La seule différence est qu'il faudra peut-être changer le tissu un peu plus fréquemment. Le changement de grossièreté est donc une subtilité dont on peut se passer surtout si on a des stocks de vieilles chemises de bureaucrate, trouées au coude à écouler, comme c'est mon cas. On trouve aussi à bon marché et facilement, des sacs de chiffon qui sont en fait des morceaux de drap d'hôpital réformés, qui sont excellents, car lavés et  relavés de multiples fois, probablement à 95 °C. Le sujet du tissu ne doit donc pas être un sujet de préoccupation, on peut s'en tenir à une seule sorte : tissu fin, en coton, de préférence usé. Pour la mèche, la mèche coton du commerce convient très bien dans tous les cas.

Il y a une toute petite exception qui est la dernière passe dite d'éclaircissage (alcool seul sans vernis), pour laquelle le tissu devrait être en flanelle de coton (quasi impossible à trouver) et la mèche devrait être préférablement en laine. Mais d'une part je ne suis pas sûr que le tampon normal (coton fin et mèche coton) fonctionne si mal que cela, en tout cas je n'ai pas rencontré de problème particulier. Et d'autre part, comme je l'ai dit plus haut, en Art Deco, l'éclaircissage peut être effectué en sautant cette étape et en utilisant à la place du polish Super Nicko (avec à peu près n'importe quoi comme tampon, y compris coton hydrophile, lingette, etc. à l'exception de textiles trop abrasifs, essuie-tout par exemple, qui risqueraient de rayer le vernis)

La température de la pièce

On lit parfois que la pièce doit avoir une température de 18 degré maximum. Je n'ai jamais constaté de problème particulier avec des températures plus chaudes, ni plus froides. Un vernisseur m'a dit que cela n'avait aucune importance et qu'on s'adaptait à la température en augmentant un peu la proportion d'alcool sur le tampon. Même sur ce point, je n'ai jamais remarquer un impact objectif. La proportion d'environ 50/50 que j'utilise semble très bien fonctionner dans tous les cas.


LE GESTE
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La charge du tampon et le pressage

En règle générale, la quantité de vernis et d'alcool versée sur le tampon à chaque recharge de celui-ci doit être assez faible : pour un tampon de la taille d'un oeuf, une vingtaine de gouttes de vernis et autant d'alcool; pour la taille d'une noix une dizaine de chaque, et pour un tampon de la taille d'un haricot sec, trois gouttes de chaque, tout ceci étant à titre indicatif et supportant une assez grande tolérance. Donc il en faut un peu mais surtout cela ne doit pas dégouliner lorsque on applique une pression nominale sur le tampon. La seule exception est lorsque la mèche à l'intérieur du tampon est neuve, il alors faut la remplir un peu plus au préalable jusqu'à ce qu'elle soit colorée mais sans plus, avant de refermer le tissu du tampon par dessus. Lors des recharges normales du tampon, il n'est pas nécessaire de le rouvrir, il suffit de le basculer pour que la surface vernissante se retrouve vers le haut, et de verser les gouttes directement sur le tissu de cette surface, d'abord le vernis, puis l'alcool. On voit chacun de ces deux liquides s'enfoncer à travers le tissu et fuir très rapidement vers l'intérieur du tampon.

Il faut alors presser le tampon relativement fort, mais sur une surface "inoffensive" (surtout pas sur l'objet à vernir), afin de vérifier qu'il n'y a pas de surplus, et s'il y en a un, afin de le chasser vers l'intérieur du tampon en pressant et tapotant. A cet endroit précis, je procède différemment du geste traditionnel. La tradition veut en effet que ce "pressage test" se fasse en appuyant/tapotant le tampon dans la paume de l'autre main qui est restée libre, disons la gauche, soit sur la peau nue (siècles anciens) soit sur la surface du gant latex qu'on y aura passé (siècle moderne). Cette méthode me dérange un peu car en faisant cela, le gant gauche voit sa paume souillée en permanence par du vernis frais, ce qui fait que si par accident, la paume gauche vient au contact de l'objet à vernir, il y a un gros risque de "brûlage" du vernis. Il me semble préférable de faire ce geste sur l'intérieur d'un couvercle de pot de confiture du commerce, ce qui permet d'évaluer tout aussi bien si le tampon est prêt, et de laisser la main gauche bien propre. On peut alors tenir l'objet et le manipuler sans aucun risque de brûlage. En revanche, cette méthode nécessite de nettoyer (ou jeter) le couvercle après chaque session, car si on laisse le vernis s'accumuler et sécher, il finit par s'y former des petits grains durs et secs, susceptibles de venir se recoller au tampon la fois suivante et de se déposer sur la couche vernie ensuite, ce qui évidemment est très mauvais pour le rendu. Le nettoyage se fait en mettant un peu d'alcool à brûler dans le couvercle et en frottant un pinceau à poil dur (brosse environ 10 mm) ou même un morceau de papier essuie-tout, sur le vernis qui s'y trouve.

A ce propos, il est intéressant pour la suite de comparer le comportement du vernis sur le couvercle pour des temps de séchage différents. Le vernis que l'on vient de déposer dans l'heure part aussitôt qu'on effleure la brosse dessus. Pour un convercle laissé quelques jours il faudra insister un peu, et pour un couvercle non nettoyé depuis un mois ou plus, le nettoyage devient assez long ou même très long. C'est curieux car le shellac est sec au toucher après quelques secondes, donc on pourrait se dire qu'entre un jour ou un mois cela ne doit plus changer grand chose tellement cela sèche vite... Eh bien non, le vernis a beau être "presque sec" en une seconde, la différence de séchage ultérieure qu'il y a entre un jour et un mois est encore énorme. C'est sans doute ce qui explique que les vernisseurs préconisent "plusieurs" jours de séchage entre chaque session (jusqu'à 15 jours pour les plus pointilleux). Cependant, mon expérience est qu'avec 24 h entre chaque session, on obtient déjà de bons résultats.

A propos des gants latex, il est vrai que les porter sur un temps long est désagréable. Donc si on a de très grandes pièces à vernir, il vaut peut-être mieux opérer à mains nues, quitte à effectuer ensuite un bon nettoyage des mains à l'alcool (qui laissera certainement des marques brunes rebelles dans les sillons qui bordent des ongles).


La force d'appui

La force d'appui doit toujours être faible, comme une sorte de frôlement plus ou moins appuyé, sans plus. Il ne s'agit jamais d'exprimer de force le vernis présent à l'intérieur du tampon en pressant le tampon sur le support pendant la glisse. Le transfert du vernis du tampon vers le bois se fait par gravité ou capilarité. C'est donc toujours un appui très léger.

La glisse

La sensation que l'on a lorsqu'on déplace le tampon sur le bois peut être de quatre types que je qualifierais ainsi: le tampon peut planer, glisser, accrocher ou brouter. Imaginons pour commencer une vitesse de déplacement constante du tampon sur le support. La phase "planer" est très brève : lorsque le tampon vient d'être chargé ou rechargé et qu'on commence tout juste à l'appliquer, il dépose initialement une couche de vernis sous lui, et il n'est pas véritablement en contact avec le support, il y a une très fine couche de vernis liquide qui s'interpose entre le tissu et le support et qui descend du tampon par gravité. La sensation est que le tampon glisse sans opposer aucune résistance, comme s'il était sur un coussin d'air. Comme le tampon n'est jamais très chargé (par exemple jamais au point de dégouliner ou même d'être saturé de vernis) cette phase de plané est vraiment très courte, une seconde environ. Ensuite pendant un temps beaucoup plus long (disons une ou deux minutes) le tampon va être capable de glisser, mais en étant cette fois au contact direct du support. La sensation reste la même d'une glisse douce, mais en revanche, le tampon a tendance à vouloir freiner, et ce de plus en plus au fur et à mesure de l'avancée. Ensuite si on poursuit toujours à la même vitesse, cette glisse va devenir progressivement "rèche", le tampon refuse de plus en plus de glisser de façon fluide et on sent qu'il a de plus en plus tendance à vouloir non plus freiner, mais accrocher. Si on poursuit encore et surtout si le tampon est laissé un peu libre d'osciller entre les doigts, cette sensation d'accroche rèche va devenir un véritable broutement : la boule du tampon va vibrer autour de la pointe des doigts, et va avancer par sauts/arrêts au lieu d'avoir un mouvement continu, ceci en émettant un bruit de roulement de tambour. La distinction entre planer/glisser/accrocher  est la même que si on applique de la peinture en glissant un pinceau à vitesse constante sur un tasseau de bois raboté ou poncé : au début lorsque le pinceau est bien plein, la peinture diffuse suffisamment vite entre les soies pour alimenter un permanence le dépôt d'un film continu, et le pinceau glisse de façon bien fluide; ensuite lorsque la quantité de peinture dans le pinceau diminue, et si l'on poursuit à la même vitesse, le dépôt devient discontinu et la sensation devient progressivement  celle d'une accroche ou d'une glisse rêche. Alors, pendant un moment on sent instinctivement qu'en ralentissant la vitesse du pinceau et en appuyant davantage, on permet à nouveau une glisse fluide, mais cela ne dure que peu. Pour le vernis, ce sera à peu près la même chose sauf que l'on ne doit jamais jouer sur le paramètre "force d'appui" qui doit toujours rester faible.

Le but du geste pour le vernis au tampon est donc de toujours s'arranger pour que le tampon plane (brièvement) puis glisse (plus longuement), mais sans jamais permettre qu'il se mette à accrocher, ni encore moins brouter. Pour cela il y a deux paramètres sur lesquels le vernisseur peut jouer par son geste : la vitesse, et dans une moindre mesure l'orientation du tampon par rapport à la surface, comme nous le verrons plus bas.


La phase critique du "plané"

C'est la première phase, qui a lieu lorsque le tampon vient juste d'être chargé ou rechargé. C'est en fait la seule phase "dangereuse", la seule ou peut se produire l'accident qui consiste à "brûler" le vernis déjà appliqué auparavant. Les trois conditions pour éviter l'accident sont les suivantes : primo, le tampon ne doit pas dégouliner ou être trop chargé; secundo, la vitesse du tampon doit être la plus élevée possible pendant la période brève où le tampon dépose beaucoup; et enfin tertio, l'atterrissage du tampon sur le support doit se faire tout en douceur, afin de ne pas faire "s'écraser" le tampon sur le support lorsque le contact s'établit. Puisque la vitesse du tampon doit être élevée, il est logique de commencer ce premier atterrissage avec un mouvement qui s'effectue dans le sens de la plus grande longueur de la pièce à vernir. Donc pour le geste le seul ensemble de choses à se souvenir est logique et simple : atterrissage en douceur à vitesse élevée et dans le sens de la longueur, avec maintien de la vitesse élevée pendant au moins une à trois secondes, le temps de sentir que le danger de brûlage est passé.

Si on écrase trop le tampon, ou même seulement si on le déplace trop lentement au cours de cette brève phase, il y aura risque de brûlage. Qu'est-ce que c'est ? Selon moi, il s'agit d'une combinaison de deux choses : d'une part, à cause de l'excès d'alcool stagnant trop longtemps au même endroit (à l'endroit où la pression est la plus forte, vers le centre du tampon), l'ancienne couche de vernis sous-jacente se creuse et ceci de façon irrégulière : l'espèce de poli qui avait été obtenu aux couches précédente est détruit au centre de la traînée. Ensuite, à cause du pressurage du tampon, un filet de vernis en surépaisseur va être déposé sur les bords du tampon vers l'endroit où la pression s'annule à cause de la forme convexe du tampon. Ceci va créér un ou deux longs "rails" en saillie, le long de la trajectoire du tampon. En fait tout le surplus de vernis (à cause de la pression trop forte ou de la vitesse trop faible) est chassée latéralement du centre du tampon vers les bords, à l'endroit où la pression s'annule.



Sur ce schéma, le tampon était trop rempli, et l'atterrissage trop brusque : le déplacement trop lent et le tampon trop "humide" font que le tissu du tampon laboure la couche de vernis existante (au centre), et la charge en vernis trop importante fait que lorsque l'atterrissage trop brusque se produit, le surplus de vernis est essoré du tampon et chassé vers les côtés. créant deux monticules allongés le long de la trajectoire. Aussi bien le labour rugueux du centre que les monticules latéraux seront ensuite très difficiles pour ne pas dire impossibles à éliminer par les passages ultérieurs du tampon sur cette zone brulée. L'effet du tampon n'est simplement pas suffisant pour cela. Sur ce schéma, tout a été grandement exagéré pour la clarté du discours : taille des fils du tissu, épaisseur de la couche de vernis, du bourrelet et du labour. Les vernisseurs appellent ces bourrelets en relief du nom de "queues de vache".

Les premières tamponnées sur bois non encore vernis

Lorsque la préparation du bois est terminée, avec éventuellement un bouche-porage, et que l'on passe donc au vernissage proprement dit, le support est plus absorbant qu'il ne le sera lors des couches suivantes. Lors de cette première session sur bois brut, il n'y a donc pas véritablement de risque de brûlage, on se rend compte que le support brut boit le vernis avec une certaine avidité. Il y a donc deux conséquences : d'une part on peut sans risque charger le tampon un peu plus abondamment qu'on ne le ferait pour une couche normale, et surtout, tant que le support boit le vernis avec cette avidité, on peut recharger le tampon assez fréquemment sans trop se soucier de le vider entre chaque tamponnée. Au contraire, on pourra recharger dès que la phase "plané" et "glisse fluide" seront terminées, ce qui ne prend pas beaucoup de temps. Cette première session, durant laquelle on opère donc plus rapidement que pour les suivantes, est appelée la charge. Il faut bien voir que cette première session de charge va consister en un nombre plus important de tamponnées que les étapes suivantes car le rendement de chaque tamponnée est minime : la trace de vernis laissée par la toute première tamponnée ne sera guère plus longue que celle qui est représentée sur le schéma ci-dessous, et en conséquence il faut de nombreuses tamponnées pour réussir à couvrir entièrement la surface et faire disparaître les trous non-vernis. 


Les premières tamponnées sur bois nu s'épuisent très vite !



Les tamponnées normales

A partir de la seconde session, lorsque la surface est déjà entièrement recouverte d'au moins une couche, il s'agit d'ajouter progressivement plusieurs couches sur un vernis plus ou moins sec. Le geste est le même, en ayant soin d'être d'abord rapide et en effleurant pour l'atterrissage à chaque nouvelle tamponnée. A mon sens, le secret d'un vernis réussi tient essentiellement à deux choses, d'une part il faut adapter sans cesse la vitesse du tampon à son degré d'humidité qui diminue avec le temps, et d'autre part il ne faut recharger le tampon que lorsque celui-ci est devenu presque vide, presque sec. C'est ici que les aspects physico-chimiques sont importants. Si on reprend l'expérience initiale avec les quatre types de glisse (plané, glisse fluide, glisse rêche, et broutage), on se rend vite compte que lorsque l'on passe de la glisse fluide à la glisse rêche, on peut revenir à la glisse fluide simplement en ralentissant un peu la vitesse du tampon. C'est que le flux de transfert d'alcool du tampon vers le support devient plus faible et donc pour conserver un certain film d'alcool, il faut que le tampon passe légèrement plus de temps au même endroit qu'il ne le faisait lorsqu'il était plus alcoolisé. En schématisant, on pourrait dire que pour chaque degré de sécheresse du tampon, on peut trouver une vitesse qui permette de garder une glisse plus ou moins fluide : pour ceci, plus le tampon est sec, plus la glisse doit être lente. Donc au fur et à mesure que le tampon se dessèche, la vitesse de glisse diminue. 

Le second point est qu'il faut bien veiller à dessécher le tampon presque complètement avant de le recharger. En effet, il faut bien comprendre que la charge apportée par une nouvelle tamponnée n'est pas bien lisse, c'est plutôt une sorte de traînée en sur-épaisseur, avec un état de surface très éloigné du poli final. Le fait de passer et repasser un tampon de plus en plus sec donc déposant de moins en moins, et érodant légèrement les aspérités, va avoir un effet lustrant très progressif. Comme nous avons vu qu'il est illusoire d'espérer parvenir à polir et lustrer une surface trop rugueuse comme des queues de vache, il faut que le caractère lisse de la surface soit maintenu et même amélioré de façon constante au cours du temps. Chaque couche, à la fin d'une session, doit être plus lisse et plus lustrée quà la session précédente. Il n'y a que le passage inlassablement répété du tampon de plus en plus sec et avec une glisse de plus en plus lente qui permet ce résultat. Voilà pourquoi les vernisseurs disent qu'il faut d'une part "sentir" son vernis (ce que j'interprète comme adapter sans cesse la vitesse pour être constamment à la limite de la glisse fluide / rêche) et qu'il faut d'autre part veiller à bien vider chaque tampon. Comme la vitesse de glisse ralentit progressivement, on peut résumer une tamponnée comme suit: une ou deux secondes de glisse planée, une dizaine de secondes de glisse fluide à la vitesse rapide initiale, puis enfin deux ou trois minutes de glisse presque rêche (mais fluide) à vitesse s'amenuisant peu à peu, pour terminer lentement. L'impératif de vider le tampon n'est donc pas du tout anodin et se justifie par celui de toujours maintenir la surface aussi lisse que possible. Un tampon qui vient d'être chargé dépose et ne lisse  donc jamais la surface.


Il y a un paramètre sur lequel il faut jouer pendant cette assez longue phase d'épuisement du tampon, c'est l'inclinaison du tampon par rapport à la trajectoire (et aux doigts qui le tiennent). Lorsque l'on pousse le tampon, il faut que l'avant du tampon  soit un peu relevé, comme des spatules de ski, et il faut que la prise par les doigts soit un peu inclinée vers l'arrière et exerce un peu de fermeté axiale pour l'empêcher de basculer vers l'avant et venir brouter (c'est sa tendance). De même si on tire le tampon, c'est le mouvement inverse. Si on considère la "gerbe' de tissu constituée par les pans repliés (cette gerbe est donc grossièrement verticale), l'axe vertical de cette gerbe doit constamment osciller un peu pour toujours se trouver incliné vers l'arrière de la trajectoire. Ceci permet un maintien du tampon avec fermeté qui contre la tendance à vouloir brouter.  Si au lieu de faire des huit pour la trajectoire du tampon, on fait des petits cercles se décalant peu à peu, l'axe de la gerbe doit décrire une sorte de petit cône qui se réalise tout seul avec un petite souplesse du poignet. Sur le schéma suivant le diagramme du haut représente une poussée du tampon vers la gauche, avec la pression plutôt sur l'arrière du tampon vers A,  et le diagramme du bas, une traction du tampon, vers la droite, avec une pression plutôt sur l'avant du tampon en B. L'axe de la gerbe de tissu est représenté en trait mixte. On remarque que ce n'est pas la même partie de l'empreinte qui est au contact du support, et donc en définitive, c'est presque toute la surface inférieure du tampon qui a été mise en contact avec le vernis lors d'une révolution complète du mouvement (huit ou cercle).




Il y a donc une sorte de jeu qui allie un peu de souplesse dans le poignet pour maintenir l'incidence correcte du tampon, et un peu de fermeté dans la tenue du tampon avec le bout des doigts pour contrer toute velléité de broutage.  Enfin, outre ces deux petits jeux de poignet et de doigts, il y a en permanence une sorte d'exploration du tampon pour essayer de trouver sur son empreinte, la zone la plus humide, car la glisse y est plus facile. Cela paraît un peu abstrait, mais c'est en fait très simple et ce triple jeu (oscillation, fermeté et exploration)  dans le geste se trouve rapidement, presque instinctivement, en recherchant toujours la meilleure glisse possible..

Une dernière précision, lorsqu'on est dans la phase d'épuisement du tampon et qu'il devient de plus en plus sec, on se rend compte que l'atterrissage en douceur devient moins important : un tampon qui devient sec peut atterrir plus brusquement que le tampon pleinement chargé. La pression de travail doit toujours rester légère, il ne s'agit pas de récurer ou poncer le vernis, mais de le lustrer à chaque session.

Laisser reposer les zones

Un autre point que je trouve important, c'est de veiller à ce que le tampon, quel que soit son degré de sécheresse, ne repasse jamais de façon répétée à intervalle court sur la même zone. C'est pour cette raison que s'il y a d'autres pièces ou d'autres faces à vernir, il est bon de passer de l'une à l'autre en laissant reposer un peu le vernis, ne serait-ce qu'une demie minute. Si il n'y a qu'un seul panneau à vernir on peut vernir une bande parallèle à un bord, puis tourner le panneau afin de faire un bande parallèle à un autre bord et ainsi de suite.  La raison de ceci et que le même tampon avec la même vitesse aura toujours une glisse plus fluide sur un vernis qui a une minute de séchage que sur un vernis qui vient juste d'être déposé dans la seconde précédente. Le vernis très frais (quelques secondes) à tendance à accrocher le tampon.Généralement on procède en faisant des bandes faites de "huit" allongés qui se décalent petit à petit. Dans ce cas, il n'est pas très bon que le début d'une bande coïncide avec la fin de la bande que l'on vient de terminer. Par exemple, une situation à éviter est celle illustrée ci-dessous, car la passe 2 commence sur la fin de la passe 1 qui est encore toute fraîche.



Il est préférable de procéder comme sur le schéma ci-dessous, car la passe 2 commence sur le début de la passe 1 qui est déjà un peu ancienne. Si on est droitier et que l'on fait des passes de gauche à droite, il faut donc tourner le panneau d'un quart de tour dans le sens des aiguilles d'une montre.




Huiler ou non ?

On entend souvent dire qu'au fur et à mesure que les sessions avancent, on peut favoriser une glisse fluide en ajoutant un peu d'huile de paraffine sur le tampon. Mon expérience est que c'est possible, mais loin d'être nécessaire, on peut très bien s'en passer également (c'est ce que je fais). D'après ce que j'en comprends, l'huile va permettre au tampon de conserver une glisse fluide avec une vitesse un peu plus importante que s'il n'était pas huilé. Très bien, mais dans ce cas, puisque le tampon presque sec se déplace plus vite, son effet lustrant est beaucoup moindre : c'est comme si le vernis ne "voyait" plus l'effet du tampon. Ce qu'on recherche avec le tampon qui se dessèche, c'est justement de trouver la vitesse suffisamment lente pour avoir une infime redissolution de la couche la plus fraîche et la plus superficielle  afin de la lustrer. Donc finalement, à mon sens on ne gagne pas grand chose en utilisant de l'huile, et le fait d'obtenir un vernis constitué d'un millefeuille d'huile et de gomme laque me fait peur, même si l'on dit que l'éclaircissage à l'alcool élimine cette huile.


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Dièdres rentrants

Un dièdre rentrant constitue un obstacle que le tampon ne peut aller remplir. La zone aveugle est représentée en rouge sur le schéma ci-dessous.

la largeur de cette zone non-vernie est de plus d'un ou deux cm pour un tampon de la taille d'un oeuf, et environ un cm pour la taille d'une noix. Une solution qui à mon sens fonctionne assez bien consiste à procéder comme suit. Il faut d'abord confectionner un mini-tampon avec une forme dissymétrique formant une sorte de pointe, d'une taille d'environ 1.5 cm de largeur et 2 cm de longueur, et moins de 1 cm de hauteur, comme illustré sur ce schéma (à droite, l'empreinte):







Evidemment la quantité de vernis et alcool nécessaire pour charger ce tampon est très faible : 2 ou 3 gouttes à chaque charge, en prenant soin de tamponner un peu sur un couvercle métallique avant application, pour bien répartir et enfoncer le vernis au centre du tampon. Ensuite, il faut procéder comme pour un vernissage normal, sauf que les passes de charge se font de manière rapide et sont rectilignes, en suivant l'arête intérieure et en appuyant un peu plus que la normale (d'où la rapidité du mouvement), afin que la zone aveugle soit la moins large possible. Le tampon est tenu du bout des doigts. Si le dièdre se termine par un autre dièdre en coin, on a un trièdre : il faut essayer de terminer par une forme en "virgule" toujours très rapidement exécutée, en venant se cogner contre la seconde arête et en retirant prestement le tampon dans le même mouvement, comme sur le schéma ci-dessous (en gris l'empreinte du petit tampon):







 Le but de ce geste est évidemment d'essayer de déposer du vernis le plus profondément possible dans la pointe rentrante créée par le trièdre, puis de venir longer l'arête du second dièdre. S'il s'agit juste d'un tasseau comme sur le schéma, cette seconde arête est très courte, mais elle doit tout de même être vernie, d'où ce geste, rapide mais nécessaire. Enfin, pour les parties du dièdre qui font partie d'une grande surface plane (comme la partie verticale dans le schéma ci-dessus), il faut ensuite faire des passes en huit qui viennent frôler le bord du dièdre, toujours avec ce mini-tampon, en veillant à bien dessécher le tampon, comme on le ferait pour des tamponnées normales, ceci afin de polir au mieux le vernis que l'on vient juste de déposer dans cette zone difficile d'accès à proximité du dièdre. Au beau milieu entre deux sessions (donc généralement après 12 h environ), on applique du vernis copal dans le fond du dièdre et du trièdre, avec un pinceau très fin, afin de finir de remplir la toute petite zone aveugle (1 mm environ) laissée par le mini tampon. Ensuite, pour l'étape de l'éclaicissage, il ne faudra pas hésiter à passer le tampon de polish le long du dièdre en l'écrasant fortement, pour que le lustrage s'effectue au plus près du fond de la gorge. Il ne restera une zone non lustrée que de moins de 1 mm de largeur, invisible à l'oeil nu car située dans le fond du dièdre,  qui n'est pas une zone de réflection de la lumière.


Façades des baguettes

Sur la figure précédente, les deux faces les plus en avant sont les façades de baguettes qui font saillie par rapport à la surface plane. On s'aperçoit que la glisse sur les façades de ces baguettes est plus fluide que sur la grande surface plane. La raison est que, du fait de la faible largeur de la baguette, la surface de frottement du tampon est moindre, donc il y a une moindre résistance à l'avancement. Il est tentant de toujours vernir ces façades de baguette longitudinalement, car le geste est plus long,  plus ample, plus instinctif. Néanmoins, les vernisseurs disent en général qu'il faut tout de même s'astreindre à faire des passes par petits cercles se décalant. Je pense que c'est vrai car on ne peut pas espérer lustrer convenablement une surface en ne faisant que des trajectoires en ligne droite toujours dans la même direction. Néanmoins, il faut faire attention qu'en faisant des petits cercles décalés, le tampon repasse nécessairement sur une zone toute fraîche dans la partie arrière de chaque cercle, à cause du diamètre très petit des cercles par rapport à la taille de l'empreinte du tampon. Il faut donc ne pas trop insister et faire preuve d'un peu plus de rapidité qu'on ne le ferait sur une surface plane.

samedi 16 janvier 2021

Quelle restauration en Art Deco ?

La restauration..., vaste débat ayant fait couler beaucoup d'encre depuis deux siècles. Il est hors de propos ici d'ajouter un grain de sel supplémentaire    non autorisé de surcroît    à ce débat. Il est question ici de décrire un peu l'esprit de ma démarche personnelle. Elle est spécifique à l'Art Deco d'une part, et aux objets détériorés ou hors d'usage d'autre part.



Pourquoi y aurait-il une spécificité Arts Déco pour la restauration ? 



Il ne faut pas perdre de vue que "Art Deco" est la dénomination qui a prévalu pour le mouvement de réaction à l'Art Nouveau, et qui a émergé aux yeux du grand public lors de l'Exposition internationale des Arts décoratifs et industriels modernes de Paris, en 1925. Le mot "industriels" est important car la démarche visait entre autre à entamer une réflexion sur la façon dont l'art pouvait s'insérer pleinement dans une production de type industrielle, la production de masse qui commençait à éclore. L'une des interrogations du mouvement était de comprendre s'il était possible d'allier production de masse et démarche artistique, ou d'inclure une démarche artistique dans la production de masse. La démarche n'était pas uniquement basée sur la rupture avec les excès ornementaux de l'Art Nouveau, il y a une réflexion nouvelle sur la production.
A ce titre on devrait pouvoir distinguer deux types d'Art Deco opposés. D'une part, l'Art Deco d'exception (Ruhlmann,...) celui de la pièce unique et précieuse qui vise les clients richissimes, et d'autre part l'Art Deco de masse qui vise au contraire à faire bénéficier les masses à l'accession d'une forme de beauté, via l'industrialisation des procédés. On pourrait citer ici par exemple les verres moulés signés (d'Avesn, Muller Frères,...) qui étaient proposés la plupart du temps à des prix très démocratiques. Ensuite il y a des créateurs qui se placent dans des gammes intermédiaires, comme Jean Perzel pour les luminaires, avec une production plutôt semi-industrielle.
On peut considérer, c'est ma démarche, que pour un objet industriel, une remise à neuf n'est pas un crime de restauration. Selon moi, garder la "patine du temps" n'a pas forcément un sens dans ce cas précis. Prenons l'exemple du nécessaire de fumeur restauré ici. Il est probable que c'est un objet semi-industriel, et on imagine aisément une aspersion de vernis cellulosique un peu à la chaîne pratiquée simultanément sur un grand nombre d'éléments. Or après un siècle, le vernis est en ruine car les UV le détériorent complètement. Mais l'objet n'était pas conçu originellement pour avoir une apparence "en ruine". Il était conçu pour avoir une apparence standardisée, telle qu'elle se manifestait au terme du processus standardisé de production en série. Il est donc légitime selon moi de remettre l'objet dans un état compatible avec cette idée initiale d'apparence standardisée. Je n'ai eu aucune hésitation à dévernir puis revernir à neuf, et ce en utilisant du vernis gomme laque, existant évidemment à l'époque puisque cette technique est multi-séculaire.
Nombre d'antiquaires sur internet remettent à neuf le mobilier Art Deco (dans la description, on trouve la mention "entièrement restauré dans notre atelier"). Il faut donc en conclure que la démarche ne choque pas, même pour des meubles haut-de-gamme. Ce qui me semble plus contestable en revanche, c'est que très souvent la restauration du vernis s'effectue "au-delà du neuf" : on voit des meubles brillants comme des miroirs sous une couche d'au moins un millimètre de vernis "gloss". Or dans ce cas il s'agit de vernis polyuréthane (vernis PU) qui n'existait pas à l'époque, et à ma connaissance, les meubles Art Deco neufs n'avaient pas cet aspect de surface glossy, les photos d'époque en témoignent. Donner une apparence glossy à un meuble Art Deco c'est donc déjà entrer dans une optique dite "meuble relooké" à laquelle je n'adhère pas, surtout lorsqu'il s'agit de meubles uniques ou haut de gamme.



Exemple d'un buffet restauré "glossy" avec vernis bi-composant (PU).

Dans une même veine, on trouve carrément des "antiquaires-relookeurs". Tel celui-ci en Allemagne qui passe à la laque piano noire tout ce qui atterrit entre ses mains:


... Un peu comme si on prenait un Rembrandt et qu'on le recouvrait par une abstraction géométrique, réalisée à l'acrylique en couleurs primaires.

Pour le bois, le vernis gomme laque était très utilisé à l'époque Art Deco, que soit pour des objets courants ou pour des pièces de mobilier haut-de-gamme. Il me semble que les vernis cellulosiques étaient plutôt réservé aux objets de moyenne gamme et bas-de-gamme, ou pour certaines parties de meubles peu visibles (étagères, intérieur des portes...). Pour ma part, après une expérience peu agréable avec du vernis cellulosique, je restaure tous les bois en vernis gomme laque. C'est un procédé qui est un peu long, mais qui reste très artisanal, ce qui me convient bien car je ne suis pas pressé : des chiffons, de l'alcool, de la gomme laque, et du temps, c'est  à peu près tout ce qu'il faut.
Pour la lustrerie en laiton, il est très courant de voir des vernis abîmés, ce qui se traduit par des zones contrastées (zones oxydées noires voisinant avec des zones jaunes tirant sur l'orangé).  C'est le signe que le laiton était vernis et que le vernis c'est usé. Dans ce cas il s'agit de vernis cellulosique. Je ne suis pas un chaud partisan du vernis cellulosique sur laiton car il devient d'une teinte bizarre tirant sur le vieux jaune orangé. Si les pièces ne sont pas trop difficiles à nettoyer, je préfère carrément ne pas re-vernir. Ceci dit, le vernis cellulosique est assez facile à appliquer sur le métal, à l'inverse du bois.


 En conclusion,  la remise à neuf des objets industriels ou semi-industriels ne me choque pas, mais cela doit se faire avec des procédés non anachroniques. C'est la démarche que j'adopte.

La restauration d'objets détériorés.


Les objets ou meubles Art Deco, peut-être du fait de leur caractère "industriel" réel ou perçu ont souvent été traités avec beaucoup moins de soin au cours de leur carrière que les véritables antiquités anciennes, considérés comme étant plus irremplaçables. Il n'est donc par rare de voir des objets ou meubles Art Deco estropiés, détériorés, ou alors en bon état mais incomplets. Pour les luminaires, il est très courant que la partie de l'éclairage lui-même soit manquante, car l'abat-jour fragile est souvent tombé en lambeaux au grenier, et la verrerie (vasques coupelles, globes, tulipes) est partie en morceau lors d'une manipulation malheureuse. Nombre de coiffeuses ont perdu leur miroir. J'ai même trouvé (et acquis) un meuble estampillé Jean Fauré qui avait perdu une partie des planchettes apparentes constituant l'arrière du meuble.
Dans ce cas, il me semble qu'il n'y a que deux possibilités. Primo la restauration type "musée": qui consisterait par exemple à trouver le même luminaire avec les verreries intactes, ou même les verreries dépareillées parvenues séparément jusqu'à nous. Pour un meuble, souvent unique, c'est une impossible gageure. Secundo, la restauration type "système D" : si le miroir d'une coiffeuse à disparu avec sa monture, on peut le remplacer soit par un autre miroir soit par ... rien du tout.
Le créneau qui me convient le plus est celui des objets détériorés, ou auxquels manquent des éléments, et rendus inutilisables ou inesthétiques. Tels quels, ils sont plus ou moins voués à la poubelle. Mais pour moi au contraire, cet état de détérioration est une carte blanche pour restaurer sans me poser de questions sur la rigueur absolue de la démarche de restauration. Du coup, c'est plutôt l'aspect "retour à un aspect plausible et plaisant" qui me guide, plus qu'une authenticité retrouvée à tout prix. Du point de vue d'un antiquaire ou d'un expert, cette démarche a toute les chances d'être qualifiée d'infâme bricolage, de bidouille etc. Mais à ceci je réponds que l'objet que je modifie n'atterrira jamais dans leur boutique, du fait justement de son état de détérioration. Ils ne sont donc pas concernés par cet objet, il est virtuellement hors commerce et hors du champ de leur jugement. En substance, l'alternative est entre la poubelle et la remise en état dans un état certes imparfait, mais plausible et qui conserve la vie à l'objet.



lundi 11 janvier 2021

Vieillissement des vernis

L'usage ou simplement le temps qui passe peuvent altérer les vernis. Les deux vernis anciens sont le vernis gomme laque (utilisé depuis des siècles) et le vernis cellulosique (utilisé à partir de la fin de la Première Guerre mondiale).

Le vernis gomme laque résiste bien au temps mais son ennemi numéro un est l'alcool, puisque c'est précisément son solvant. La surface mise en contact avec un alcool (fort ou moins fort) est "brûlée" dans le jargon des vernisseurs. C'est donc un vernis assez fragile chimiquement, mais si la forme de la surface à vernir est simple, sans arêtes ou ressauts,  reprendre un vernis gomme laque n'est finalement pas très rébarbatif.

Pour le vernis cellulosique, il semble que le temps lui-même le dégrade, ainsi que les ultra-violets. Le vernis en se desséchant devient dur, rigide, puis cassant ; il se craquèle et se fendille. Ensuite, quand le vernis est fendillé, l'humidité de l'air s'introduit dans le bois de placage à l'emplacement des fentes,  créant ainsi des différences d'humidité dans le placage. Ces différences finissent par faire gonfler le bois du placage là où il y a des fentes, et redressent leurs arêtes. Sur le schéma ci-dessous, en haut vernis en bon état, au milieu vernis fendillé, et en bas vernis fendillé et tuilage du bois :


Partie inférieure épaisse : le bois de placage (environ 0.5 mm)
Partie supérieure mince : le vernis, en bon état (haut), craquelé (milieu) et tuilé (bas).


Lorsque la surface est dans cet état-là, ce qui fait l'attrait d'une finition vernie est largement perdu. L'aspect devient moins beau, la surface attrape la poussière, et la lumière ne joue plus aussi agréablement sur la surface unie. La teinte perd beaucoup de son uniformité. Au toucher, la surface qui était soyeuse ou lisse devient rêche et rugueuse.

Il est également notoire qu'avec le temps, le vernis cellulosique devient grisâtre ou verdâtre, et surtout il perd peu à peu sa transparence. Cela dégrade l'aspect visuel. Les subtils effets de moirure sont perdus, et la teinte générale devient triste.

Le problème à mon sens, c'est qu'il est assez pénible de reprendre un vernis cellulosique, que ce soit pour le refaire ou pour aller vers un vernis gomme laque. Le dévernissage complet jusqu'au fond des pores est un problème avec le vernis cellulosique. Et un dévernissage qui n'est pas complet risque de compromettre grandement la qualité visuelle de revernissage, surtout pour les bois sombres.

Coromandel ou Macassar ?

A propos du titre de ce blog, il faut d'abord préciser que la distinction entre le Coromandel, l'ébène de Macassar et même certains palissandres sombres bien contrastés n'est pas toujours aisée, surtout pour des pièces de petite dimension. Je dois avouer mon incapacité en ce domaine, mais ce qui est important à mes yeux en fin de compte, c'est la beauté du bois, plus que son nom.

Sur ce nécessaire de bureau, le bandeau, les cotés du pot et le socle semblent être en ébène de Macassar même si je n'en mettrais pas ma main au feu; ce pourrait fort bien être dans un palissandre de Rio très sombre et très veiné, car généralement le veinage du Macassar est plus large que cela.



Les poignées et le socle de cette coupe sont davantage typiques de l'ébène de Macassar, dont les motifs forment souvent de grands à-plats juxtaposés. La nuance générale du Macassar peut varier énormément en fonction de la proportion de teintes claires (plutôt caramel) et sombres (brun-noirâtre)


Quant à la distinction entre Coromandel et Macassar, elle est très difficile à établir pour un oeil non averti, et je m'en garderai bien; de mémoire c'est surtout la taille des pores qui diffère.

Enfin, il faut savoir qu'il y a une multitude d'essences dans chaque genre, ces essences portant un nom voisin n'appartenant d'ailleurs pas toujours au même genre botanique. Pour citer quelques exemples d'essence, Ebène de Macassar, d'Amara, noir..., Palissandre de Rio, de Santos, de Cuba... Acajou blond, de Cuba. 

Bref, il y a largement de quoi se perdre et à mon sens en définitive, il est préférable d'oublier la terminologie pour mieux s'extasier sur la beauté de la matière elle-même.